Perchée sur ses hauts talons, elle balançait son corps.
Elle marchait, tête haute, semblant ne voir que les nuages.
Les passants la croisant pouvaient se croire transparents.
Et ils l’étaient pour elle, prisonnière de ses pensées bousculées.
Elle portait depuis le matin un ruban de satin serré autour du poignet. Il lui rappelait sa promesse. Chaque éclat de sa couleur, chaque mouvement le resserrant augmentaient son trouble.
Son corps existait plus que jamais et c’est pour l’oublier qu’elle ne s’arrêtait pas sur celui des autres. Perdue dans sa tête, elle se brouillait les pistes. Il lui fallait arriver jusqu’aux heures où le noir est plus dehors que dedans.
Après ses déambulations obligatoires, elle s’assit avec tension au soleil d’une terrasse. Son sourire sembla attendrir la serveuse fatiguée.
Commença l’attente… où la nervosité gagnait chaque instant passé.
Ni les regards, ni les audaces des hommes qu’elle attirait ne parvenaient à la distraire de sa méditation silencieuse.
Elle se leva enfin, laissant là, la serveuse, les hommes et son bouquin, pour, comme une automate, reprendre son chemin.
Sa démarche chaloupée devenait imprécise. Plus avançait le lieu qui l’attendait, plus ses pas trahissaient son manque de confiance…
Quand plantée devant la porte elle regarda sa montre, le ruban se chargea de lui rappeler son retard. La panique au bord du cœur, elle appuya timidement sur la sonnette.
La voix inconnue la fit sursauter… oui, oui, c’était elle et elle était désolée pour… le cri strident de l’ouverture coupa ses justifications, la plongeant plus encore dans le désarroi.
L’homme qui l’attendait à la porte, portait un sourire rassurant. Elle le saisit comme un baume servant à panser sa terreur.
Il prit sa veste et son sac et sans autre préambule, la fit entrer dans une pièce aux tentures lourdes et aux couleurs chaudes.
« Allons-y ! lui dit-il d’une voix claire et forte. Nous avons déjà du retard. »
Elle ne pouvait retenir ses tremblements… la panique refaisait surface avec l’énergie d’un désespoir intense.
« Je mets de la musique, cela vous détendra… »
Elle ne voyait plus rien que les lumières sous leurs parapluies d’argent. Elle n’entendait plus rien que la chamade de son cœur en désaccord avec les heureux sons extérieurs.
« Enlevez votre chemisier et votre jupe, maintenant ! »
Mais combien de boutons compte ce chemisier ? Et pourquoi sont-ils si serrés ? Et cette jupe, pourquoi la fermeture se coince t-elle ainsi ? Et puis, ces bas ne tiennent rien du tout… tout ceci est vraiment ridicule…
Il faut qu’elle lui dise… c’est inutile… elle ne veut pas lui faire perdre son temps…
« Voilà, comme cela, levez vos yeux vers moi ainsi… quel regard !
Aller, maintenant, vous allez quitter doucement ces dessous tout à fait charmants.»
Oublier où, oublier comment… il faut qu’elle y arrive, elle a promis…
Elle se sait maladroite, empruntée, mal à l’aise.
Mais où est l’endroit, l’envers ?
Rien pour poser ses yeux, rien pour se rassurer.
Pourquoi avoir dit oui ?
Elle ne saura donc jamais lui résister !
« Cachez vos yeux, ils vous induisent et cela fausse le résultat. Il y a un bandeau sous le troisième coussin. Passez le et je vous guiderais ensuite. »
Ses mains tremblent tant qu’elle n’arrivera jamais à nouer l’étoffe.
L’espace prend son sens… elle se sent étrangement respirer. Une partie de sa peur s’est estompée avec la perte de la vue.
Elle entend enfin la musique, perçois la chaleur des lampes. Son corps devient plus libre, il ne l’entrave plus. Puisqu’elle ne se voit plus elle oublie qu’on la voit.
« Vous bougez mieux ainsi. »
Elle sent soudain des mains se poser sur ses hanches…
Elle se tend en arrêt sous la surprise.
Elle ouvre la bouche pour protester, mais celle-ci est aussitôt investie par un souffle qui la pétrifie…
La tête lui tourne, que se passe-t-il ?
Il n’avait rien dit.
« Tu iras à 19 heures à cette adresse et te laissera photographier sans rien
dire. »
« Chut ! Laissez-vous faire. »
Son cœur est au bord de l’explosion. Elle ne se souvient même plus de cet homme qui lui a ouvert la porte. Son image a déjà quitté sa conscience.
Et elle ne peut retenir son corps quittant sa retenue pour se tendre vers les mains inconnues.
Elle veut lutter contre ses envies qui déferlent, au rythme des caresses qu’elle ne fuit pas…
Le modelage des poses vers cet objectif inquisiteur se poursuit sans relâche…
Sans relâche et sans heurt, elle se laisse manipuler, lier, nouer, plier et peu à peu quitte le sol.
Lorsque l’homme entre en sa possession elle lui offre son plaisir sans réserve. Et quand enfin il lui rend la lumière, c’est un bonheur sans pareil de l’apercevoir…
Elle l’avait deviné, peut-être dès le début ! Mais comment être sûr avant de le voir ?
Et c’est sans doute ce doute qui n’en était pas un qui lui ouvre des routes où elle aime tant se perdre…
Ils sont restés longtemps dans les bras enlacés, avant que le photographe ne revienne les troubler… Peut-être qu’enfin elle saura se regarder avec un peu de complaisance pour son image.
Vos derniers mots