Lyzis et son L


 

Cet hiver là, il faisait froid, Souris Rouge rentrait de l’école, son bonnet sur la tête, les joues glacées. Elle aperçut la maison du loup, qu’éclairait de l’intérieur la flamme d’un feu de bois, elle voyait les volutes de fumée s’envoler gaiement de la cheminée dans le crépuscule givré.

Ses parents lui avaient interdit de s’approcher de cette maison et surtout de parler au loup.

Pourtant elle s’écarta du sentier et s’arrêta à la porte.

Le loup s’appelait Vilco, les gens le détestaient, ils prétendaient que son nom était une contraction de « vil coyote ». Et puis ils prétendaient qu’il volait les animaux de la ferme pour manger. Des tas d’histoires épouvantables courraient sur son compte.

 

Elle frappa à la porte :

 

- toc toc toc, loup y es-tu ?

- qui est là ? ah c’est toi ! que fais-tu là ?

 

C’était un vieux loup il habitait là depuis longtemps, il connaissait tous les gamins du quartier. La Souris Rouge passait tous les jours sur la route, il la reconnut tout de suite, à sa couleur si particulière.

 

Souris Rouge entra sans hésiter. 

 

- hihi

- entre vite tu es gelée

-viiiiiiii, il fait trop trop froid

- viens près du feu te réchauffer

- pas trop près quand même… merci, brrrrr, surtout que j'ai passée la matinée dehors

- enlève ton blouson tout gelé et puis tes moufles

- mes boots aussi ?

- oui pauvrette

- mon cache nez et mon bonnet…mais ne les mettez pas au feu !

- je les mets là à sécher, ne t’inquiète pas… comme ça ils seront bien chauds tout à l'heure.

 

Vilco s’affairait pour faire sécher les vêtements de la souris, ranger un peu le désordre de la pièce…

Il demanda :

 

- que faisais-tu dehors ainsi ?

- nous avons planté une haie avec les autres enfants de l’école … c'est une initiative de la fédération des chasseurs

 

Vilco haussa les épaules

 

-…les chasseurs…

 

Tout cela ne lui disait rien qui vaille. Il lui tendit une bonne tasse de thé fumant.

 

-       Voilà le thé, ça ira ?

-       Merciiii, oui, très bien

-       tu veux une tartine?

-       Oiiiii

-       du miel?

-       je souffle... c'est chaud… heu non, je n’aime pas trop le miel… juste une tartine grillée s’il vous plaît.

-       Tiens

-       merchi

 

Souris Rouge grignotait sa tartine. Puis elle s’étira :

 

-       ah cha fait doux bien

 

Vilco s’installa près d’elle sur un vieux fauteuil.

 

-       donne tes pieds que je souffle dessus… pfffff… c’est chaud hein ?

-       cha fait des guilis

-       excuse-moi je ne fais pas exprès… et là ça chatouille aussi?

-       hé bien ne recommencez pas alors... hi hi hi

-       pfffff je souffle fort hein

-       ouiiiiiiiiiiiiiiii… comme le loup sur la maison des petits cochons !

 

Une brume légère passa devant les yeux de Vilco :

 

-       oui, mais je ne suis pas méchant avec les souris, ça ne compte pas comme cochon les souris… ça compte comme souris et c'est tout… ça ne se mange pas… ça se renifle un peu juste…

-       hihi

-       mm j'aime bien l'odeur de souris

-       hihi

-       ça sent la petite femelle

-       ben le monsieur de la fédération, ce matin, il a dit que les loups ça mange les petites souris

-       ah bon ? c'est une idée ça, si on essayait?

-       Heuuuuu

-       Hé bien quoi s'il l'a dit le monsieur

-       Il ne faut pas croquer trop fort

-       juste un petit bout… mettons là… ce petit bout là

-       je suis une souris non  comestible… aie

-       ah zut ça fait mal ?

-       viiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii

-       excuse-moi, je vais souffler seulement alors

-       ou  croquez moins fort

-       ouiiiiiiiiii là

-       oui oui, c'est mieux de souffler

-       juste souffler et renifler un peu… attends que j'attrape ta ceinture pour te tenir… viens là, je souffle

-       si près ?

-       oui c’est normal, sinon on ne sent pas bien

-       mais je vais me tortiller après

-       ah non ne bouge pas

-       ben c'est difficile

-       mange ta tartine et ne bouge plus

 

Souris Rouge baissa les yeux.

 

- arrêtez de bouger vos genoux … si vous soufflez aussi fort... je vais m'envoler

- et quand je souffle là ça fait mal?

- non… mmmm… j'ai beaucoup plus chaud d'un coup… oui oui

- ça sent bon la souris rouge

-hihi… on se sent mieux quand on n’est pas gelé… ouiiiiiiiiiiiiiiii

- arrête de bouger

- mais… ben je fais des efforts

- mais arrête je te dis

- c'est trop difficile

- ah bon ? je vais te refaire une tartine. Ne bouge pas je vais à la cuisine

- non, restez là, je n’ai  plus faim… et puis si vous partez je vais m'assoir où ? je suis bien sur vos genoux

- je ne bouge pas

- sauf quand vous bougez … là je suis bien…

 

Vilco prit la télécommande sur la table

 

-       tiens je vais mettre une jolie musique

-       je ne suis pas un peu lourde quand même ? oui, laquelle ?

-       l'andante du 21ème concerto, ça va te plaire j’en suis sûr.

-       Merci… ça chante doucement

-       C’est Murray Perahia, un grand pianiste, très poétique

-       ah ! je ne connais pas

-        et bien comme ça... tu vas faire connaissance

-       Ouiiiii… grâce à vous je vais connaître plein de trucs maintenant

-       Et bien arrête un peu de gigoter ça me chatouille là, ça tire

-       Ah… ah ? d'accord, j'essaie

-       Hum tu penses!!!

-       je pense ?

-       c'est malin regarde le résultat maintenant

-       oh ! … ce n'est pas ma faute

-       si c’est de ta faute

-       mais non… mais oui... alors … quand même

-       que faire?

-       Heu… désolée

-       arrête de bouger un peu

-       je n'ai pas fait exprès… ça ne marche pas... même quand je ne bouge pas

-       là viens dans mes bras on ne bouge plus on écoute sagement

-       d'accord

-       on écoute chut....

-       chutttttttttttt

-       écoute

-       chut, j'écoute

-       Mozart dans les oreilles et l'odeur de souris rouge dans la truffe, c’est bon

-       mais chut

-       ah oui mais regarde! quand on écoute c'est encore pire

-       mais !!!

-       Arg

-       tant pis pour vous... j'écoute

-       oui oui…

-       je ne bouge plus

-       attends je vais enlever ma salopette j'ai trop chaud là

-       grrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr

-       chut, tais-toi deux minutes

-       mais vous avez fini ? je vais me cacher dans un coin pour écouter si ça continue

-       ne bouge pas, reste là

-       chut

-       là !

-       grrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr

-       c’est tout chaud là

-       ça m’empêche d’écouter la musique chaque fois que vous parlez

-       je ne veux plus que tu bouges, c’est de ta faute après

-       d'accord

-       attends je mets ça là, comme ça

-       c'est trop magnifique pour que je bouge de toutes manières

-       c'est mieux

-       oui oui, comme vous voulez

-       je peux bouger un petit peu?

-       nonnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn pas tout de suite

-       et sans parler je peux ?

-       attendez que ce soit fini… mais c'est…

-       juste un peu les jambes?

-       ça y est, c'est vraiment très beau, c'est triste aussi, mais avec vous c'est rigolo

-       oui un peu triste

-       même si c'est difficile de se concentrer avec vous

-       attends, on écoute le premier mouvement

-       et bien vous bougez encore

-       attends je vais m'installer mieux, ça ne te gêne pas trop là?

-       Oh… non ça va… très bien… heu

-       je crois que... enfin ce n’est rien

-       ah oui d'accord

-       ne bouge pas

-       promis… vous ne voulez vraiment pas que je bouge ? d'accord doucement

-       pas trop fort

-       non non

-       drôlement bien la musique

-       heu

-       ah

-       il fait chaud vous ne trouvez pas ?

-       tu es toute trempée tu dois avoir chaud, pauvrette

-       heu oui ça doit être ça… peut-être… mais ça ne vous détend pas la musique vous !!

-       heu mais

-       quoi ?

-       c'est ta faute, tu as bougé, voilà

-       mais non, même pas vrai, je n’ai pas bougé d'un poil

-       un peu tu as bougé j'ai senti quelque chose

-       mais non

-       et puis tu as très chaud je trouve

-       moi aussi j'ai senti quelque chose c'est pour ça que je n'ai pas bougé

-       mais si tu bouges encore là

-       ben vous aussi vous avez chaud... vous avez perdu votre salopette

-       oui il fait très chaud c’est normal ici devant le feu

-       mais non, c'est vous… ah ! C’est pour ça

-       recule encore un peu s’il te plaît

-       c'est vous qui voulez que je bouge encore…oh !

-       juste un petit peu...

-       mais

-       je crois que je rentre dans une tartine de miel

-       pourquoi me tirez-vous comme ça ?

-       attends

-       je ne peux pas être plus près là

-       là ça va

-       pffffffffff là ça fait trop chaud

-       tu as mis du miel là sur le tapis

-       désolée… quoi donc ? je ne comprends pas

-        ce n’est rien

-       ah d'accord

-       avance un peu

-       avance... recule... bouge pas...

-       non recule plutôt

-         pfffffff c'est compliqué

 

suite

Jeu 2 déc 2010 Aucun commentaire