Lyzis et son L
Depuis son retour de vacances, elle avait repris ses habitudes et sa place dans le bus qui l’emmenait au travail.
Elle n’avait pas remarqué tout de suite le nouveau passager. Mais lui, n’avait mis que trois voyages avant de prendre la place de Séverine à ses côtés -sa partenaire de transport était en Auvergne pour encore 15 jours-.
Il s’était montré de bonne compagnie, s’intéressant aux autres voyageurs, lui posant beaucoup de questions… Peu à peu, il en était venu aux confidences –se montrant modeste et drôle-, puis aux questions plus personnelles.
Il la distrayait et elle trouvait cela fort agréable. Elle se laissait séduire par son humour. Il savait entourer ses interrogations les plus intimes, d’une légèreté malicieuse et elle se surprenait à se livrer plus que de coutume.
Ce qui lui évita de succomber à ses charmes, fut cette discussion enflammée sur les différences entre les désirs féminins et masculins…
Il avait amené le sujet assez rapidement et la poussait à exprimer ses opinions contradictoires, quand elle se rendit compte, qu’il ne parlait qu’à ses lèvres…
Elle tentait désespérément de capter son regard - le sujet lui semblant polémique - mais ses yeux ne fixaient que sa bouche…
Elle agitait les mains –comme toujours quand elle défendait un point de vu- il ne les regardait même pas…
Il semblait hypnotisé par le mouvement de ses lèvres…
Elle finit par se taire. Il ne la regarda pas plus dans les yeux pour lui poser d’autres questions.
Le désir qu’il avait de sa bouche, lui paru soudain si évident, qu’elle se senti mal à l’aise… Il la dévorait littéralement des yeux, il buvait ses mots comme on salive à l’avance devant un dessert interdit…
Les jours suivants, elle se fit plus distante, moins loquace, observant son manège…
Il ne sembla pas s’en apercevoir et poursuivi avec assiduité son numéro de charme, tout en maîtrisant de moins en moins son obsession pour la bouche pleine et peinte de son interlocutrice.
Il fini tout de même par lui demander ce qui la rendait triste.
Elle commença par affirmer qu’elle allait très bien, qu’elle n’était pas triste du tout.
Mais son regard de convoitise et la façon dont il se mordit la lèvre inférieure dès qu’elle ouvrit la bouche lui ôtèrent toute réserve. Elle déversa alors sur lui son dégout, l’affubla de sa rancœur, le repoussa hors de son monde et lui tourna définitivement le dos.
Il ne réagit pas, stupéfait sans doute d’une réaction aussi violente. Les autres voyageurs l’entouraient d’un silence déconcerté.
Il ne reprit jamais le bus…
Elle y repense souvent, se demandant ce qu’il pouvait imaginer en regardant ses lèvres, qu’aucun de ses amants n’avaient jamais dévorées aussi intensément des yeux…
Elle remplissait peut-être ses rêves, ses temps perdus, ses moments de relâchement...
Elle lui donnait faim, soif, envie... de... enfin, une bouche peut donner envie de tant de choses... Non ?
Je ne crois pas qu'elle se posait la question au moment ou elle l'a repoussé... C'est pour cela qu'elle a des regrets. Elle était submergée par son incompréhension et le sentiment d'être agressée par le désir obsessionnel de cet homme.
Et vous, que pensez-vous qu'il lui trouvait à cette bouche ?